Le patrimoine religieux du Quebec: Education et transmission du sens.
Berthold, Etienne
Lefebvre, Solange, dir. Le patrimoine religieux du Quebec.
Education et transmission du sens. Sainte-Foy, Presses de
l'Universite Laval, 2009. 416 p.
D'annee en annee, le patrimoine culturel fait l'objet
d'un nombre sans cesse croissant d'etudes dans la communaute
scientifique. Depuis peu, cette derniere l'aborde, en partie, sous
l'angle de la patrimonialisation. Elle scrute les processus au fil
desquels l'objet, l'ensemble d'objets et meme
l'heritage immateriel acquierent des significations individuelles
ou sociales. En raison de plusieurs facteurs relies, entre autres, a la
pratique religieuse qui a cours aujourd'hui dans les societes
occidentales, le patrimoine religieux figure avantageusement parmi les
objets et les manifestations a l'etude par la communaute
scientifique. Le Quebec n'est certainement pas en reste. En 2005 et
2006 paraissaient, a quelques mois d'intervalle, deux collectifs
consacres entierement a la problematique: Le patrimoine religieux du
Quebec: entre le cultuel et le culturel (sous la direction de Laurier
Turgeon, Presses de l'Universite Laval) et Quel avenir pour nos
eglises? (sous la direction de Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Thomas
Coomans, Presses de l'Universite du Quebec). C'est a ces
ouvrages, et a d'autres etudes specialisees, que s'ajoute Le
patrimoine religieux du Quebec. Education et transmission du sens,
publie aux Presses de l'Universite Laval en 2009, sous la direction
de Solange Lefebvre.
Prepare a la suite d'un colloque ayant eu lieu en 2006 a
l'initiative de la Chaire religion, culture et societe de la
Faculte de theologie et de sciences des religions de l'Universite
de Montreal (dont Solange Lefebvre est titulaire) en collaboration avec
le Conseil du patrimoine religieux du Quebec, l'ouvrage Le
patrimoine religieux du Quebec. Education et transmission du sens
contient vingt-quatre textes qui sont regroupes en trois parties
distinctes: 1- "Visions du patrimoine religieux"; 2-
"Eduquer au patrimoine"; 3- "Histoires de transmission et
de sauvegarde". D'une facon generale, l'ouvrage ne situe
pas son argumentaire dans le champ du courant d'etudes des
patrimonialisations. Mis a part quelques rares contributions comme celle
de Laurier Turgeon et de Louise Saint-Pierre ("Prolegomenes a une
base de donnees multimedia du patrimoine religieux immateriel du
Quebec"), il propose peu d'analyses permettant de depister les
processus par lesquels les biens mobiliers et immobiliers clericaux en
sont venus a etre consideres comme partie prenante du patrimoine
culturel de la collectivite quebecoise. En revanche, comme
l'indique son titre, il entend s'attacher "a
l'examen des multiples enjeux de la transmission du patrimoine aux
generations montantes et aux populations recemment installees en sol
quebecois" (p. 27). C'est d'ailleurs justement a
l'aune de la transmission que le collectif propose des reflexions
novatrices en matiere de patrimoine religieux. Celles-ci tiennent, pour
certaines, a la notion de transmission elle-meme. Dans ce registre se
demarque le texte "Entre le materiel et l'immateriel: quelques
considerations sur la transmission du sens du patrimoine
religieux", de Bernard Brodeur, president de la Commission de la
culture sur l'avenir du patrimoine religieux (tenue en 2005), qui
explore les rapports entre la propriete ecclesiastique et sa mise en
recit patrimoniale.
D'autres textes abordent le patrimoine religieux et sa
transmission sous l'angle des chevauchements qu'ils impliquent
entre les registres laiques et religieux. Marc Pelchat ("Les
langages du patrimoine religieux et la 'survie du
sacre'") cherche a positionner le patrimoine dans le rapport
de la religion a l'existence, alors que Maxime Allard, o.p.
("Des visees croisees a l'occasion du patrimoine
'religieux'") releve quelques tensions qui decoulent des
contacts entre le patrimoine culturel et le religieux. Christine Cheyrou
("La sacristie et le conservateur") explore les processus par
lesquels l'exposition museale d'art religieux est susceptible
de transformer le musee en un nouvel espace de sacralite. Puis, dans
deux des contributions les plus stimulantes de l'ouvrage, Pierre
Lucier et Francois-Marc Gagnon situent la transmission du patrimoine
religieux dans un registre proprement culturel. Le premier en souhaitant
qu'elle rejoigne l' "'esprit du lieu',
c'est-a-dire cela meme qui, par-dela la date et la grammaire des
signes, opere comme une force de signification toujours agissante"
(p. 149) et le second en proposant de projeter le patrimoine religieux
dans la sphere de l'art et de faire de lui l' "objet
d'un jugement de gout" (p. 156) qui puisse susciter des debats
publics.
Plusieurs textes de l'ouvrage militent en faveur de
l'extension de la notion de patrimoine et de son ouverture au
"patrimoine immateriel", sorte d'heritage culturel vivant
des communautes. C'est le cas du texte de L. Turgeon et de L.
Saint-Pierre, mais aussi de ceux de Bernard Brodeur, de Christina
Cameron et d'Olivier Bauer. Le lecteur ne manquera pas de remarquer
les recentes percees de l'ethnologie derriere cette ouverture au
patrimoine immateriel.
En lien avec une partie de l'objectif poursuivi par
l'ouvrage, des textes se consacrent finalement aux enjeux de la
transmission du patrimoine religieux dans les communautes issues de
immigration et dans les generations montantes. A cet egard, on notera
particulierement les patientes recherches de Pierre Anctil sur la
communaute juive de Montreal ou encore les reflexions de Denis Watters
("Le patrimoine religieux dans un programme quebecois
d'ethique et de culture religieuse").
En posant essentiellement la question du patrimoine religieux sous
l'angle de l'intelligence qui preside a sa transmission,
l'ouvrage Le patrimoine religieux du Quebec. Education et
transmission du sens marque un apport au champ des etudes consacrees a
la problematique du patrimoine religieux, au Quebec. A terme, le lecteur
en retiendra notamment que l' "avenir du patrimoine religieux
repose sur l'equilibre des rapports de force entre les communautes
croyantes, la societe civile, les instances gouvernementales competentes
et les experts" (p. 20). A la vue des textes savants qui cotoient
les ecrits de theologiens et de politiques, il y trouvera aussi,
indirectement, un temoignage patent de l'epistemologie du
patrimoine culturel contemporain dont la construction resulte, la
plupart du temps, d'une demande sociale qui depasse le seul domaine
academique.
Etienne Berthold
Institut du patrimoine
Universite du Quebec a Montreal